Formes ludiques (2/2)

Quelques mots sur l'OuLiPo (suite)

3) La quenine (ou n-ine), qui est la généralisation de la sextine, inventée au XIIe siècle par le troubadour Arnaut Daniel.
La sextine est composée de six sizains comportant chacun six mots-rimes différents ; leur place change de strophe en strophe selon une permutation d'ordre 6. Elle se termine par une demi-strophe qui contient les six mots-rimes dans l'ordre initial, appelée tornada.
C'est avec délectation que l'OuLiPo a repris cette défi-nition en remplaçant 6 par "n" pour en faire la quenine (cliquez sur le bouton  , en bas à droite, pour voir un exemple concret).

Les vers holorimes
Les vers holorimes (ou olorimes) sont des vers dont la rime constitue la totalité du vers. Compte tenu des contraintes, ils relèvent plus souvent de l'acrobatie que de la poésie. En voici quelques exemples : Victor Hugo
Et ma blême araignée, ogre illogique et las
Aimable, aime à régner, au gris logis qu'elle a.
Lucien Reymond (1828-1901)
Dans cet antre, lassés de gêner au palais,
Dansaient, entrelacés, deux généraux pas laids.
Dans ton site sévère assistant sa prestance,
Danton cite ces vers, assis, stance après stance.

Marc Monnier (1829-1885)
Gall, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l'arène à la tour Magne, à Nîmes.
Charles Cros, (1842-1888) Le Coffret de santal, 1873
Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses,
Danse, aime, bleu laquais, ris d'oser des mots roses.
Alphonse Allais (1854-1905)
Aidé, j'adhère au quai ; lâche et rond je m'ébats,
Et déjà, des roquets lâchés rongent mes bas.
Par les bois du Djinn, où s'entasse de l'effroi,
Parle et bois du gin !… ou cent tasses de lait froid.
Ah ! Vois au pont du Loing, de là, vogue en mer, Dante !
Hâve oiseau, pondu loin de la vogue ennuyeuse.

Et Allais de s'excuser : « La rime n'est pas très riche, mais j'aime mieux cela que de sombrer dans la trivialité. »
Jacques Prévert (1900-1977)
Dans ces bois automnaux, graves et romantiques,
Danse et bois aux tonneaux, graves et rhums antiques.
Luc Étienner (1908-1984)
Danse, prélat ! L'abbé t'apprit l'air en plain-chant !
Dans ce pré-là, la bête a pris l'air en pleins champs.
Louise de Vilmorin
L'âme est moirée par mille émois, sans torts.
La mémoire est parmi les mois, centaure.
C'est encore à Louise de Vilmorin qu'on doit le plus bel exemple d'holorime, tiré de L'Alphabet des aveux.
Ce remarquable distique parvient à marier l'émotion à la prouesse :
Étonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne, hélas !

Petit aparté pour les matheux : la quenine n'existe pas pour tous les entiers n > 0 !
En effet le nombre de permutations engendrées, c-à-d le nombre de dispositions distinctes des mots-rimes est parfois < au nombre n de stophes exigées !
On appelle nombres de Queneau les nombres entiers positifs pour lesquels il existe une quenine.

Quoi qu'il en soit, la quenine d'ordre 3 existe, on la nomme terine. Sa grande simplicité permet de suivre le mécanisme de la permutation :

TERINE DE L'OULIPO

1      Qu'est-ce donc que la terine
2     Concoctée à l'OuLiPo ?
3     — Une espèce de poème.

3     Qu'y met-on, dans ce poème
1      Qu'on appelle la terine ?
2     — La farce de l'OuLiPo !

2     Rendez grâce à l'OuLiPo
3     Et savourez ce poème…
1      En achevant la terine.

Tornada
Terine ? — OuLiPo-poème !

GiL