José-Maria de Heredia (1842-1905)
L'oubli
		    Le temple est en ruine au haut du promontoire.
		    Et la Mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
		    Les Déesses de marbre et les Héros d’airain
		    Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire.
			
		    Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire,
		    De sa conque où soupire un antique refrain
		    Emplissant le ciel calme et l’horizon marin,
		    Sur l’azur infini dresse sa forme noire.
		    
		    La Terre maternelle et douce aux anciens Dieux
		    Fait à chaque printemps, vainement éloquente,
		    Au chapiteau brisé verdir une autre acanthe ;
		    
		    Mais l’Homme indifférent au rêve des aïeux
		    Ecoute sans frémir, du fond des nuits sereines,
		    La Mer qui se lamente en pleurant les sirènes.
		
Brise marine
		    L’hiver a défleuri la lande et le courtil.
		    Tout est mort. Sur la roche uniformément grise
		    Où la lame sans fin de l’Atlantique brise,
		    Le pétale fané pend au dernier pistil.
		    
		    Et pourtant je ne sais quel arome subtil
		    Exhalé de la mer jusqu’à moi par la brise,
		    D’un effluve si tiède emplit mon coeur qu’il grise ;
		    Ce souffle étrangement parfumé, d’où vient-il ?
		    
		    Ah ! Je le reconnais. C’est de trois mille lieues
		    Qu’il vient, de l’Ouest, là-bas où les Antilles bleues
		    Se pâment sous l’ardeur de l’astre occidental ;
		    
		    Et j’ai, de ce récif battu du flot kymrique,
		    Respiré dans le vent qu’embauma l’air natal
		    La fleur jadis éclose au jardin d’Amérique.
		
				