Françis Jammes (1868-1938)

 

La maison serait pleine de roses et de guêpes.
On y entendrait, l’après-midi, sonner les vêpres ;
et les raisins couleurs de pierre transparente
sembleraient dormir au soleil sous l’ombre lente.
Comme je t’y aimerais ! Je te donne tout mon cœur
qui a vingt-quatre ans, et mon esprit moqueur,
mon orgueil et ma poésie de roses blanches ;
et pourtant je ne te connais pas, tu n’existes pas.
Je sais seulement que, si tu étais vivante,
et si tu étais comme moi au fond de la prairie,
nous nous baiserions en riant sous les abeilles blondes,
près du ruisseau frais, sous les feuilles profondes.
On n’entendrait que la chaleur du soleil.
Tu aurais l’ombre des noisetiers sur ton oreille,
puis nous mêlerions nos bouches, cessant de rire,
pour dire notre amour que l’on ne peut pas dire ;
et je trouverais, sur le rouge de tes lèvres,
le goût des raisins blonds, des roses rouges et des guêpes.

De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir, 1898.

Damoclès Vieux (1876-1936)

L'ombre

L’ombre calme du soir entre dans ton salon :
N’allume pas encor ta lampe familière.
Dans tes yeux imprégnés de ton amour profond,
L’adieu divin du jour laisse un peu de lumière —
N’allume pas encore la lampe, — pour mon cœur,
L’ombre illusoire augmente et doux est son mystère
Qui s’étend sur ton âme et sur notre bonheur.
N’allume pas encor la lampe. Oh ! non. J’espère.
Dans le soir recueilli, tendrement enlacés,
Goûtons éperdument l’enchantement extrême
Qui nous vient de nos cœurs, l’un par l’autre bercés.
Je ne vois plus tes yeux. Embrasse-moi. Je t’aime.

L’Aile Captive, 1913.