Louise Labé (1524-1566)

Sonnet VIII




Je vis, je meurs : je me brûle et me noie,
La vie m’est et trop molle et trop dure,
J’ai chaud extrême en endurant froidure ;
J’ai grands ennuis entremélés de joie.

Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief* tourment j’endure,
Mon bien s’en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

grief : douloureux

Sonnet XIII

Oh, si j’étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant :
Si avec lui vivre le demeurant
De mes courts jours ne m’empêchait envie :

Si m’accolant me disait : chère Amie,
Contentons-nous l’un l’autre ! s’assurant
Que jà tempête, Euripe, ni Courant
Ne nous pourra disjoindre en notre vie :

Si de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l’arbre encercelé,
La mort venait, de mon aise envieuse,

Lors que, souef*, plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.

Louise Labé – Les Sonnets, 1555.

souef : doux, agréable