Paul Verlaine (1844-1896)

Le ciel est, par-dessus le toit,
        Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
        Berce sa palme.

La cloche, dans le ciel qu’on voit,
        Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
        Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
        Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
        Vient de la ville.

– Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
        Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
        De ta jeunesse ? Sagesse, 1881.

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues. Poèmes saturniens, 1866.