Stéphane Mallarmé (1842-1898)
Le tombeau d'Edgae Poe
			
			Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change,
			Le Poëte suscite avec un glaive nu
			Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu
			Que la mort triomphait dans cette voix étrange !
			
			Eux, comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange
			Donner un sens plus pur aux mots de la tribu,
			Proclamèrent très haut le sortilège bu
			Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.
			
			Du sol et de la nue hostiles, ô grief !
			Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief
			Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne
			
			Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur
			Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
			Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.
			Poésies, 1887.	
		
Don du Poème
			
			Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée !
			Noire, à l’aile saignante et pâle, déplumée,
			Par le verre brûlé d’aromates et d’or,
			Par les carreaux glacés, hélas ! mornes encor
			L’aurore se jeta sur la lampe angélique,
			Palmes ! et quand elle a montré cette relique
			À ce père essayant un sourire ennemi,
			La solitude bleue et stérile a frémi.
			
			Ô la berceuse, avec ta fille et l’innocence
			De vos pieds froids, accueille une horrible naissance 
			Et ta voix rappelant viole et clavecin,
			Avec le doigt fané presseras-tu le sein
			Par qui coule en blancheur sibylline la femme
			Pour des lèvres que l’air du vierge azur affame ?
			1865 - Poésies, 1887.	
		
				