Stéphane Mallarmé (1842-1898)


Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor. Poésies, 1887.


Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !

Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.

Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie,
Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne. 1885 - Poésies, 1887.

Quelques mots pour – un peu – démythifier ce fameux sonnet dit « en X » qui apparaît comme un monument de l'hermétisme (dans sa première version il comportait un titre : Sonnet allégorique de lui-même), mais chez qui, en dessous de la richesse des idées, des thèmes, des images, des références et des métaphores qui s'entrecroisent et se répondent, on trouve la simple évocation d'un salon presque vide dont – fait rarissime – Mallarmé nous donne lui-même un aperçu (lettre à Henri Cazalis du 18 juillet 1868) :
« ...une eau-forte pleine de Rêve et de Vide. Par exemple, une fenêtre nocturne ouverte, les deux volets attachés ; une chambre avec personne dedans, malgré l’air stable que présentent les volets attachés, et dans une nuit faite d’absence et d’interrogation, sans meubles, sinon l’ébauche plausible de vagues consoles, un cadre belliqueux et agonisant, de miroir appendu au fond, avec sa réflexion, stellaire et incompréhensible, de la grande Ourse, qui relie au ciel seul ce logis abandonné du monde. »

Quant au ptyx, mot emprunté au grec, Émilie Noulet (1892-1978) qui fut une grande exégète de Mallarmé, considère dans Vingt poèmes de Stéphane Mallarmé (1972), qu'il « désigne une conque, un de ces coquillages qui, collé à l’oreille, fait entendre le bruit de la mer »...