Géraud Dejou Poème néoclassique

Caen

À Venoix, je logeais dans un quartier désert
D'immeubles alignés sous un plafond couvert.
Je venais chaque fois comme on vient en voyage,
Rendre à quelque vieux frère un bonjour, un hommage.
Je le trouvais assis, me guettant à demi.
Il disait : « Qu'il est bon de te voir, mon ami. »
Et nous partions tous deux au détour de la rue.
Parfois, sur le chemin, l'aube était apparue,
Alors, nous regardions s'étendre sa lueur,
Tous les deux, la musique et la jeunesse au cœur.
Nous rêvions, comme on rêve à vingt ans, quand tout gronde.
Nous parlions de succès, de grandeur dans le monde,
D'amis qui nous suivraient jusqu'au fond de l'enfer,
De promesses gravées dans la flamme et le fer,
De destinées tracées, qui filaient vers la gloire.
Nous parlions de cela, et nous voulions y croire.

À Caen, la nuit tombée, nous allions quelque part.
Là où l'ivresse vient, vous consume, et repart,
Et toute la jeunesse était sous la lumière
Des tavernes bondées de la rue écuyère.
Des fous chantaient. Des fous hurlaient quelques discours.
Des poètes, plus loin, buvaient au fond des cours.
On rencontrait toujours un regard plein de charme,
Ou des mots doux lancés à travers le vacarme.
Et nous étions chez nous au milieu de cela.
Puis, quand l'un s'enfuyait, l'autre était toujours là.
Alors peu importait l'aube maussade et blême,
Et nous avions toujours l'autre part de nous-même.

Anthologie poétique de Flammes Vives (vol 2), 2016.