Archibald Poème néoclassique

L’art de la rime

Quel poète dira tous les torts de la rime ?
Se demandait Verlaine avec justes raisons.
Je veux bien essayer, moi qui souvent m'escrime
A respecter la loi de ces terminaisons.

Pourquoi donc me mêler d'écrire ce poème ?
Au début c'est facile et tout me semble ouvert,
Les syllabes sont là jusqu'à la pénultième
Mais la rime m'attend, perfide, au bout du vers.

Elle approche, elle fuit, elle me tarabuste,
Existe-t-elle au moins ? Je la cherche à tâtons,
Je la décèle enfin, voilà la note juste,
Juste bonne à jouer un air de mirliton.

Je ne puis l'attraper, je sue et me démène,
C'est à devenir fou comme Antonin Artaud !
Bougre d'alexandrin, tu vas rimer quand-mêne
Et rentrer dans ton cadre à grands coups de marteau !

Je triture la phrase et froisse la syntaxe,
Je distords le discours en mille contorsions,
Hélas ! j'en ai trop fait ; il a quitté son axe,
Et s'effondre au fracas d'un jeu de construction.

La structure est instable et c'est là tout le drame :
Dentelle d'apparat faite au point d'Alençon,
Je tire sur un fil, le reste de la trame
S'effiloche et se perd d'une triste façon.

Je dispose bien sûr de plusieurs dictionnaires
– Un lexique complet limite les dégâts –
Mais pour le cas présent, rien d'extraordinaire,
Que faire d'« agrégat », « renégat » ou « nougat » ?

Souvent j'ai le bon mot, véritable trouvaille,
La rime est féminine, il lui faut un mari,
J'essaye, je construis, je juge le travail :
Les « e » sont inversés, et ça me contrarie.

Ah ! le principe idiot de ces lettres finales
Muettes et pourtant rudes à l'écolier
En lui interdisant la règle originale
D'accorder les pluriels avec les singuliers.

Quelquefois Polymnie, avec son air arsouille,
M'offre en cadeau des vers qui riment richement
Mais cet écho falot, mi humour mi art, souille
Le vernis du quatrain : la rime riche ment.

Consonance maudite, homophonie infâme,
Supplice de Chinois que ces deux sons jumeaux
Qui percent mon tympan, ma cervelle et mon âme
Et la laissent mourante au beau milieu des mots !

Adieu muse perverse, adieu sombre névrose,
Je me libère enfin de ces mauvais calculs !
Ils ne riment à rien, j'en reviens à la prose :
II ne faut poéter pas plus haut que son cul.

Oniris - Poésie contemporaine, 04/04/2016.