Aurélien Carton Poème néoclassique (cf. bouton +)

Panorama violon

Je me souviens du miel,
L'aquarelle des ans bruns…

D'un sourire de craie avachi sur l'aurore.

Des passions écumantes, de l'écho des embruns ;
Des poudres de vanille, de tes yeux, de

L'eau rare.

D'une rose agenouillée au creux de tes murmures,
Du regard fané que je portais sur toi.
De tes lèvres mouillées, des plis de ton armure
Qui tapissaient mon souffle :

La promesse d'un toit.

Je me souviens d'un port qui nous cherchait parfois,
De l'exil perpétuel de nos vœux écorchés,
De l'asphyxie du Temps, des rochers, de ma foi
En l'exquis tremblement de tes joues égarées.

D'un collier de framboises, d'un cri d'aventurine,
De ton cœur qui filait au sable de mes doigts.
La tendresse apprentie de nos gestes de bruine

Et l'ambre de tes mots :

Tes sinon,

Tes pourquoi...

Je me souviens du gris de nos linges froissés,
De nos cils emmêlés, de l'écharde du vent ;
Des flocons de ton âme en berne sur l'été
Qui figeaient la surface de mes songes mouvants.

De la géographie de ton être blotti
Entre mes bras témoins de notre éternité.
D'une bague de tremble, d'un rameau de rubis
Qui scellèrent le sursis de nos doutes enlacés.

D'une colline boisée et d'une immense croix,
De la mélancolie d'un paquebot d'ardoise.

(Écrin d'espoirs bleuis)

Aujourd'hui je te crois…

J'ai éventré le monstre de nos peines siamoises.

Oniris - Poésie contemporaine, 18/01/2017.

– Comment cela, "Poème néoclassique" ? Ce sont des vers libres ! s'indigneront certains visiteurs.

À première vue, oui. Mais à y regarder de plus près, on constate qu'il s'agit d'un poème de sept quatrains dont l'auteur s'est plu à "éclater" cinq alexandrins : c'est son droit le plus strict !


La présentation me rappelle un poème d'Apollinaire qui "à y regarder de plus près" est presque un sonnet :

Les colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières

Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne

Alcools, 1913.