Alice Hugo Poème classique

Le buste du poète

Qu'on me donne un maillet, des ciseaux, une ripe,
Et qu'on me laisse seule à l’opium de ma pipe
Pour sculpter votre buste avec tant de ferveur
Qu’un seul regard vers lui fera naître un rêveur.

Fébriles sont mes mains et craintive mon âme
À ciseler l’éclat de votre ardente flamme,
À broder de fils d’or les nimbes glorieux
Qui font de vous l’élu du domaine des dieux.

J’ai réchampi vos traits d’un sourire tragique,
D’un front haut tourmenté d’une ombre nostalgique,
De lourds sillons gorgés de noblesse et d’ardeurs :
Vous reconnaissez-vous, poète des Splendeurs ?

S’il faut, de vos talents, préserver la mémoire
Telle que je la tiens au creux de mon grimoire,
Je pétrirai l’argile et le bronze et l’airain,
Des siècles à venir vous ferai souverain.

Ô chantre sans égal d’une quête mystique,
Illustre bâtisseur d’une Légende épique,
Voyez combien mes yeux enchaînés à mon cœur
Disent que de la mort vous demeurez vainqueur.

Et sur le marbre nu dont vous êtes l’otage
Désemparé, si loin du branlant Ermitage,
Je n’aurai de répit pour faire rejaillir
L’âme de cette fleur que nul n’a pu cueillir…

Poètes classiques d'aujourd'hui Livret n°14.

Jean-Marie Ladsous Poème classique

Mon art poétique

J'aime les mots soyeux qui fondent dans la bouche
Et font chanter le vers, sublimant sa beauté.
J'aime le mot qui sonne et dans les airs fait mouche,
Colorant le discours d'une chaude clarté.

J'aime l'alexandrin, son ampleur solennelle ;
Il confère au propos l'élégante épaisseur
Et le ton pertinent que la pensée appelle
Lorsqu'il traite d'un thème empreint de profondeur.

J'aime autant le vers court quand l'humeur est légère :
Un douze pieds devient un trop pesant fardeau.
On ne voit pas l'amant courtiser sa bergère
Avec de longs versets : mieux vaut un gai rondeau.

Je hais la dissonance : elle choque l'oreille,
Écorche le gosier du malheureux lecteur.
Et jette l'hiatus au fond de ma corbeille :
Il ressemble au braiment d'une ânesse en chaleur.

Je méprise le snob, le bobo qui se pâme
Pour les vers farfelus d'un écrivain abscons
Qui fait croire au public qu'ils révèlent une âme
Alors qu'il est patent qu'il nous prend pour des cons !

Je veux, par-dessus tout, que le fond soit solide,
Que je puisse saisir dans l'œuvre l'argument.
Le conseil de Boileau reste toujours valide :
Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.

Poètes classiques d'aujourd'hui Livret n°14.