Léo Porfilio Poème classique

À la guitare

Toi, ma muse fidèle, éternelle comparse,
Sur qui j'ai fait pleurer tant de sourds trémolos,
Te souvient-il encor de la candeur éparse
Qui conduisait le cours de mes premiers solos ?

Je te dois la douceur de mes béatitudes,
Et sous l'écho diffus de tes frissons feutrés,
N'as-tu pas mille fois comblé mes solitudes
En diluant les maux qui s'étaient concentrés ?

Si ta rosace boit quelques rayons obliques,
J'entrevois le foyer de ton sein magistral,
Mais les angles profonds des cœurs mélancoliques
Ne se montrent jamais sous un jour intégral.

Quand un sursaut d'ardeur t'écorche par méprise,
S'il advient que mon ongle écaille ton vernis,
Je caresse ton bois comme une peau promise
Et j'inonde ton corps d'apèges infinis.

Je te connais par cœur, tu sais comment je vibre,
Mais je n'aurais pas cru que mon secret amour,
Pour la première fois, vînt à me rendre libre
Et que toi, mon trésor, t'éprisses en retour.

Je passerais ma vie à monter et descendre
Sur tes cordes, ton dos, tes hanches d'acajou,
À promener mes mains contre ton palissandre
Dont le fragment nacré te fait comme un bijou.

À reposer ma tête au creux de ton éclisse,
En écoutant chanter l'œuvre qui se poursuit
Avec l'oreille ouverte aux veines du bois lisse,
Toi seule sait combien j'aime passer la nuit.

Lorsque je sens ta chair palpiter sur ma joue
Et que tes vibratos m'enlacent chèrement,
Je me demande alors qui se livre, qui se joue,
Et qui devient pour l'autre un fidèle instrument.

Un jour, je m'en irai comme toutes les âmes,
Mais toi, luth éternel, toi qui me survivras,
Tu garderas le son de nos intimes flammes,
L'empreinte de ma pulpe et l'amour de mes bras.

Concours Flammes Vives de la poésie 2018,
Section classique – Flamme d'or.