Marie Dauguet (1860-1942)

Sotto voce

Il est doux de mourir un peu
Aux berges des forêts mouillées,
Et parmi les feuilles rouillées
Où s’égoutte du brouillard bleu ;
Il est doux de mourir un peu.

Il est doux de n’être plus rien
Que la brume qui s’échevèle,
Moins que le frôlis sourd d’une aile,
Aux velours pourprés des fusains ;
Il est doux de n’être plus rien.

Il est doux de mourir un peu
Avec les eaux qui se corrompent,
Avec les lointains qui s’estompent,
Avec les buis, les houx fangeux ;
Il est doux de mourir un peu.

Il est doux de n’être plus rien,
Moins que le frisson d’une rose,
Dont le vent d’hiver décompose
La chair de nacre et de carmin.
Il est doux de n’être plus rien.

À travers le voile, 1902.

Gérard d' Houville (1875-1963)

 

Aujourd'hui je suis triste. Écoute, ô cher potier !
Je t'apporte le don de mon corps tout entier,
Si tu veux avec art, dans ta durable argile
Peut-être, éterniser une forme fragile,
Dans une terre rose et semblable à ma chair
Modèle le contour de mon bien le plus cher :
Mes petits seins égaux aux deux pointes aiguës.
Qu'il reste au moins cela des grâces ingénues
Que j'offre à ton désir, si de chaque côté
De l'amphore funèbre où toute ma beauté
Doit dormir, poudre éparse et cendre inerte et grise,
Au lieu de l'anse, creuse à la main qui l'a prise,
Tu renfles la rondeur de ce double contour
Presque enfantin et prêt à peine pour l'amour.
... Et celui qui, pensif, sous le sol séculaire,
Trouvera quelque jour mon âme funéraire
Saura que je fus femme, et femme tendrement,
Amoureuse et malicieuse par moment ;
Et se demandera devant la terre sombre
Pourquoi tant de clarté dut naître pour tant d'ombre.

Revue des Deux Mondes, 1905.