Paul Verlaine (1844-1896)

Ariettes oubliées VII

Ô triste, triste était mon âme
À cause, à cause d’une femme.

Je ne me suis pas consolé
Bien que mon cœur s’en soit allé.

Bien que mon cœur, bien que mon âme
Eussent fui loin de cette femme.

Je ne me suis pas consolé,
Bien que mon cœur s’en soit allé.

Et mon cœur, mon cœur trop sensible
Dit à mon âme : Est-il possible,

Est-il possible, — le fût-il, —
Ce fier exil, ce triste exil ?

Mon âme dit à mon cœur : Sais-je
Moi-même, que nous veut ce piège

D’être présents bien qu’exilés,
Encore que loin en allés ?

Romances sans paroles, 1891.

Germain Nouveau (1851-1920)

Sans amis, sans parents, sans emploi, sans fortune,
Je n’ai que la prison pour y passer la nuit.
Je n’ai rien à manger que du gâteau mal cuit,
Et rien pour me vêtir que déjeuners de lune.

Personne je ne suis, personne ne me suit,
Que la grosse tsé-tsé, ma foi ! fort importune ;
Et si je veux chanter sur les bords de la Tune
Un ami vient me dire : Il ne faut pas de bruit !

Nous regardons vos mains qui sont pures et nettes,
Car on sait, troun de l’air ! que vous êtes honnêtes,
De peur que quelque don ne me vienne guérir.

Mais je ne suis ici pour y faire d’envie,
Mais bien pour y mourir, disons pour y pourrir ;
Et la mort que j’attends n’ôte rien que la vie.

Le Calepin du mendiant, 1944 [posthume].