Jules Laforgue (1860-1887)

Solutions d'automne

Tout, paysage affligé de tuberculose,
Bâillonné de glaçons au rire des écluses,
Et la bise soufflant de sa pécore emphase
Sur le soleil qui s'agonise
En fichue braise...

Or, maint vent d'arpéger par bémols et par dièzes,
Tantôt en plainte d'un nerf qui se cicatrise,
Soudain en bafouillement fol à court de phrases,
Et puis en sourdines de ruse
Aux portes closes.

– Yeux de hasard, pleurez-vous ces ciels de turquoise
Ruisselant leurs midis aux nuques des faneuses,
Et le linge séchant en damiers aux pelouses,
Et les stagnantes grêles phrases
Des cornemuses ?

La chatte file son chapelet de recluse,
Voilant les lunes d'or de ses vieilles topazes ;
Que ton Delta de deuil m'emballe en ses ventouses !
Ah! là je m'y volatilise
Par les muqueuses !

Puis ça s'apaise
Et s'apprivoise,
En larmes niaises,
Bien sans cause...

Premiers poèmes, 1903.

Albert Samain (1858-1900)

Vision

Musique – encens – parfums…, poisons…, littérature !…
Les fleurs vibrent dans les jardins effervescents ;
Et l'Androgyne aux grands yeux verts phosphorescents
Fleurit au charnier d'or d'un monde en pourriture.

Aux apostats du Sexe, elle apporte en pâture,
Sous sa robe d'or vert aux joyaux bruissants,
Sa chair de vierge acide et ses spasmes grinçants
Et sa volupté maigre aiguisée en torture.

L'archet mord jusqu'au sang l'âme des violons,
L'art qui râle agité d'hystériques frissons
En la sentant venir a redressé l'échine…

Le stigmate ardent brûle aux fronts hallucinés.
Gloire aux sens ! Hosanna sur les nerfs forcenés.
L'Antéchrist de la chair visite les damnés…

Voici, voici venir les temps de l'Androgyne.

Le chariot d'or - Symphonie héroïque, 1901.