Élisa Mercœur (1809-1835)




Rêverie




Qu'importe qu'en un jour on dépense une vie,
Si l'on doit en aimant épuiser tout son coeur,
Et doucement penché sur la coupe remplie,
Si l'on doit y goûter le nectar du bonheur.

Est-il besoin toujours qu'on achève l'année ?
Le souffle d'aujourd'hui flétrit la fleur d'hier ;
Je ne veux pas de rose inodore et fanée ;
C'est assez d'un printemps, je ne veux pas d'hiver.

Une heure vaut un siècle alors qu'elle est passée ;
Mais l'ombre n'est jamais une sœur du matin.
Je veux me reposer avant d'être lassée ;
Je ne veux qu'essayer quelques pas du chemin.

Mes Heures perdues, 1833.

Philothée O'Neddy [Théophile Dondey] (1811-1875)




Spleen




Mes intimes douleurs, surtout celles d’amour,
Dans mon cœur ont le sort des femmes de l’Asie.
Sous les lois du harem elles y font séjour.
Prison. Mystère. Ainsi le veut ma jalousie.

Quand parfois elles vont dehors, l’œil du ghiaour
Ne peut pas m’inspirer de sombre frénésie ;
Car elles ont un voile impénétrable au jour,
Le voile du symbole et de la fantaisie.

Celui qui songerait à l’ouvrir tant soit peu,
Celui-là, je le hais, je le tiens pour infâme !
Que – si j’ai des amis – aucun d’eux ne réclame !

Non, non, je ne saurais sur mes rêves de feu,
Sur les pleurs de mon cœur, les fièvres de mon âme,
Souffrir d’autre regard que le regard de Dieu !

Premières poésies, 1828.