Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)



Qu'en avez-vous fait ?



Vous aviez mon cœur,
Moi, j'avais le vôtre :
Un cœur pour un cœur ;
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre,
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur :

Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,
Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'amour ?

Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde ;
Vous appellerez,
Et vous songerez !...

Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte ;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.

Et l'on vous dira :
« Personne !... elle est morte. »
On vous le dira ;
Mais qui vous plaindra ?

Charles Brugnot (1798-1831)

Rentrons ; l’air est brumeux. Le soir jette des voix
Si tristes, qu’on dirait les âmes qui succombent.
Que les bois sont jaunis ! Quels déserts que ces bois !
Vois-tu comme les feuilles tombent !

Voilà – regarde au ciel – des oiseaux passagers
Qui cherchent l’orient, à leurs vieux nids fidèles ; –
Lui ! quand reviendra-t-il des pays étrangers ?...
Oh ! si, comme eux, j’avais des ailes !

Rentrons. – Je n’aime plus rien de ce que j’aimais,
Tant je languis pour lui ! Dieu, par pitié l’assiste !
Rentrons ; les champs sont nus, le soleil mort. – Jamais
Je n’ai vu d’automne si triste !

Poésies, 1833 (parution posthume).

En 1896 une statue de Marceline Desbordes-Valmore fut érigée à Douai. A cette occasion Albert Samain lui dédia un de ses fameux sonnets (très parnassien…) à quinze vers :

À Marceline Desbordes Valmore


L’amour, dont l’autre nom sur terre est la douleur,
De ton sein fit jaillir une source écumante,
Et ta voix était triste et ton âme charmante,
Et de toi la pitié divine eût fait sa sœur.

Ivresse ou désespoir, enthousiasme ou langueur,
Tu jetais tes cris d’or à travers la tourmente ;
Et les vers qui brûlaient sur ta bouche d’amante
Formaient leur rythme aux seuls battements de ton cœur.

Aujourd’hui, la justice, à notre voix émue,
Vient, la palme à la main, vers ta noble statue,
Pour proclamer ta gloire au vieux soleil flamand.

Mais pour mieux attendrir ton bronze aux tendres charmes,
Peut-être il suffirait quelque soir simplement
Qu’une amante vînt là jeter, négligemment,

Une touffe de fleurs où trembleraient des larmes.

Albert Samain (1858-1900)