Quand je relis un poème connu, il arrive parfois
– surtout si c'est un poème de Baudelaire – que
le choc d'une image, l'émotion procurée par une
formule, la révélation d'une impression partagée,
m'apparaisse brusquement avec plus de netteté
que jamais auparavant et me donne alors l'idée
d'un nouveau poème.
Ce sonnet trouve son origine dans le vers de "Recueillement" que j'ai mis en exergue.

... et pas, comme on pourrait le croire, dans le
poème d'Albert Samain qui commence aussi par :
"Il est d'étranges soirs..." et que j'ai découvert
douze ans après avoir écrit "L'écume des soirs" !
Coïncidence supplémentaire (ou réminiscence
poétique ?) : comme lui, je reprends le même
hémistiche au quatrain suivant…

Juin 2008.
Poulie et haubans



L’écume des soirs

Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;
Baudelaire


Il est d’étranges soirs imprégnés d’amertume
Où l’Avenir ressemble au rivage étranger
Qu’on aborde, impassible et sombre passager,
Le cœur sourd aux accords du jour qui se consume.

Il est d’étranges soirs où le sel de l’écume
Ronge l’esprit navré de n’avoir su changer
Le cours des temps échus ni parer le danger
De l’écueil invisible affleurant sous la brume.

Mais il est d’autres soirs, porteurs de lendemains,
Qu’en offrande la Nuit dépose entre nos mains…
L’instant, vierge, éternel, frémit comme une voile,

Le Regret souriant monte des flots amers
Et l'Espoir s’illumine à la première étoile
Quand passe le volier des grands oiseaux des mers.