Michel Martinez Fable classique
La mouche et les dieux
L’abeille recevait la louange des dieux,
Lorsqu'une mouche bleue et grasse de sanie,
Se jugea par ce coup victime d'avanie,
Et tint cette harangue aux habitants des cieux :
« Quel beau mérite, je vous prie,
Vaudrait à l'abeille ma sœur
Plus qu'à moi-même cet honneur ?
Ne suis-je pas vive autant qu'elle ?
Ne fends-je pas l'air de mon aile ?
N’ai-je pas comme elle un doux chant ?
Ne piqué-je pas le méchant ? »
L'abeille n'entend point : dans sa hâte zélée
À chercher en tous lieux son précieux butin,
Peu sensible aux honneurs de l'auguste assemblée,
Elle vole déjà dans l'air frais du matin,
Parmi les champs fleuris de lavande et de thym.
Mais voici qu'au cœur de la ville
Un caniche accroupi répand sa trace vile,
Ornement incongru d'un paisible trottoir,
Où le pied du rêveur, souvent, se pose et glisse.
Notre mouche aussitôt s’y porte avec délice,
S’y plaît, s’y plonge, il faut la voir,
Et de tant de splendeur s'étonne et s'émerveille.
L'hilarité des dieux secoue alors le ciel :
« Voyons de cette fleur ce que sera le miel,
Et tu pourras briguer les lauriers de l’abeille ! »
Comme l'insecte immonde, ainsi plus d'un mortel
Se croit digne en tous points de la faveur divine :
Tel faiseur de chansons pense égaler Racine,
Tel barbouilleur de murs se prend pour Raphaël.