Gérard Laglenne Gérardine classique
Quand les vieux durent trop longtemps…La maison de retraite s'impose
Dans le discret mouroir où son fils l’a casé,
Sur un aussi grand lit que son mouchoir de poche,
Il s’éveille perclus, toujours dépaysé,
Et, sachant le futur d’un vieillard plutôt moche,
Se fabrique un présent… de passé composé !
Heureux du trait d’amour que Cupidon décoche,
Il revoit sa compagne et leur gentil poupon :
Un garçon adorable, exempt de tout reproche
Avant que ne l’épouse un despote en jupon.
Au décès de sa femme, une absurde broutille
A nanti cette bru d’un prétexte fripon
Pour ravir le fauteuil du chef de la famille.
Depuis, de trop chez lui, de chagrin écrasé,
Il ruse avec la mort, nargue sa belle-fille,
Dans le discret mouroir où son fils l’a casé…
Pascal Lecordier Poème classique
L’écumoire
Je vieillis, me raidis comme du pain rassis.
Pour lire Valéry, je porte des lunettes.
Je souffre au garde à vous, ne vis heureux qu’assis.
Ma taille s’amplifie au fil de mes emplettes.
La courbe de mon dos accuse le fardeau
des sédiments du temps. Comme un drame fossile,
je crains de ressembler à Brigitte Bardot.
Que les plus belles fleurs ont le déclin facile !
Le verbe dans ma bouche épouse le passé.
Je radote au présent. Pour chaque mot, je lutte.
Chercheur de métaphore à l’esprit dépassé,
mon chant git dans la glu. Contre le mur, je butte.
Perclus d’un rhumatisme en dernier sacrement,
las, je nage à contre-courant de ma mémoire.
Quand soudain me parvient un peu de firmament,
Par mon égo criblé de trous en écumoire.