Le sonnet (2/2)
Parmi toutes les formes que peut prendre le sonnet, une seule est acceptée à côté du sonnet régulier, la forme marotique : abba,abba,ccd,eed.
On privilégie également le sonnet élisabethain ou shakespearien qui comporte trois quatrains à rimes croisées, suivis d'un distique à rimes plates. Ci-contre un sonnet élisabéthain de Mallarmé.
Toutes les autres formes sont dites irrégulières mais elles sont largement pratiquées ; Baudelaire n'a écrit que quatre ou cinq sonnets réguliers mais s'est livré à de nombreuses variations : dans les Fleurs du mal on dénombre pas moins d'une trentaine de types de sonnets ! Signalons enfin le sonnet quinzain (de 15 vers), inventé par Albert Samain (voir un exemple ici) et le sonnet estrambot (trois tercets, un exemple là).
Le premier sonnet français fut par écrit Clément Marot en 1536 (d'où la forme marotique). Dix ans plus tard apparaît la forme française. Le sonnet connaît de suite un grand succès qui se prolonge jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Après une éclipse au XVIIIe siècle, il est remis au goût du jour par Sainte-Beuve (1828), puis Nerval (1844) ; Baudelaire, les Parnassiens et les Symbolistes s'en emparent… mais pas Hugo ! (cf. bouton +)
En poésie classique et néoclassique, le sonnet fait encore de nos jours l'objet d'une prédilection marquée.
La chevelure
La chevelure vol d'une flamme à l'extrême
Occident de désirs pour la tout éployer
Se pose (je dirais mourir un diadème)
Vers le front couronné son ancien foyer
Mais sans or soupirer que cette vie nue
L'ignition du feu toujours intérieur
Originellement la seule continue
Dans le joyau de l'œil véridique ou rieur
Une nudité de héros tendre diffame
Celle qui ne mouvant bagues ni feux au doigt
Rien qu'à simplifier avec gloire la femme
Accomplit par son chef fulgurante l'exploit
De semer de rubis le doute qu'elle écorche
Ainsi qu'une joyeuse et tutélaire torche
Stéphane Mallarmé – Poésies, 1899.
Victor Hugo n'a écrit que cinq sonnets vers la fin de sa vie, uniquement pour des raisons… intéressées.
Le premier date de 1872. Il fut inspiré par une beauté de 28 ans, Judith Mendès, fille de Théophile Gautier. Hugo avait 70 ans ! Le sonnet fut publié en 1876 dans L’Artiste avec cette note : « Le seul que Victor Hugo ait jamais écrit, ne devait-il pas avoir sa place ici ? »
Ave, Dea, moriturus te salutat
La mort et la beauté sont deux choses profondes
Qui contiennent tant d’ombre et d’azur qu’on dirait
Deux sœurs également terribles et fécondes
Ayant la même énigme et le même secret ;
Ô femmes, voix, regards, cheveux noirs, tresses blondes,
Brillez, je meurs ! ayez l’éclat, l’amour, l’attrait,
Ô perles que la mer mêle à ses grandes ondes,
Ô lumineux oiseaux de la sombre forêt !
Judith, nos deux destins sont plus près l’un de l’autre
Qu’on ne croirait, à voir mon visage et le vôtre ;
Tout le divin abîme apparaît dans vos yeux,
Et moi, je sens le gouffre étoilé dans mon âme ;
Nous sommes tous les deux voisins du ciel, madame,
Puisque vous êtes belle et puisque je suis vieux.
12 juillet
Après l'exil, Toute la lyre, V. [Le « Moi »]
Ce sonnet m'évoque irrésistiblement les stances que Corneille adressa à Marquise… en vain.
Le sonnet de Hugo, lui, fut… récompensé.