La "terza rima"

La terza rima (ou rimes tiercées) est composée de tercets en nombre indéterminé ; à ce titre on pourrait contester sa nature de poème à forme fixe.

Créée par Dante dans la Divine Comédie, la terza rima fut empruntée à l'Italie par la Pléiade, puis délaissée pendant deux siècles et reparut au XIXe siècle chez les Parnassiens.

Elle est généralement composée d'alexandrins.
Le premier et le dernier vers de chaque tercet riment ensemble, ainsi qu'avec le deuxième vers du tercet pré-cédent. Le poème se termine par un vers seul qui rime avec le deuxième vers du dernier tercet.
Le shéma d'ensemble du poème s'établit donc comme suit : aba, bcb, cdc, ded, ..., yzy, z.

Le vers unique qui clôt la terza rima est favorable à un effet particulier – une pointe – comme c'est le cas dans le poème de Deschamps ci-contre.

Voir également ici une jolie terza rima contemporaine, écrite en vers néoclassiques.

La pensée (terza rima)

Comme un poison subtil redoutons la pensée.
Moi, si j’avais vingt fils, ils auraient vingt chevaux
Qui, sous les grands soleils ou la bise glacée,

Les emportant joyeux, et par monts et par vaux,
Devanceraient la flèche et l’oiseau dans leurs courses :
Ils n’entendraient jamais parler de leurs cerveaux ;

La matière partout leur créerait des ressources,
Tout leur serait festin ; leur soif à tous moments
Boirait le Malvoisie ou l’eau froide des sources ;

Des chiens de tous poils les suivraient écumants.
Ils s’époumoneraient dans un cornet d’ivoire
A sonner le trépas aux sangliers fumants ;

Des broussailles pour lit, un étang pour baignoire,
Ils dormiraient beaucoup, et rêveraient fort peu,
Se portant comme Hercule, et mettant là leur gloire ;

Puis l’hiver, ils auraient et l’orgie et le jeu,
Tout ce qui ne sent pas la science et l’école…
Des cartes ? en voilà !… mais un livre, grand Dieu !

Un livre ! ils y pourraient trouver une parole
Qui desséchât leur sang, épouvantât leurs nuits,
Bouleversât leurs nerfs, rendît leur raison folle…

Ils pourraient devenir, un jour, ce que je suis !

Émile Deschamps (1791-1871)
Le Parnasse Contemporain : Recueil de vers nouveaux, 1866.