Formes ludiques (1/2)

L'acrostiche
Un acrostiche est une strophe ou un poème dont les premières lettres des vers composent un mot.
Né au IVe siècle, l’acrostiche est fréquent comme jeu poétique à la fin du Moyen Âge. Villon l'a utilisé pour signer plusieurs ballades, p.ex la Ballade des contre-vérités :
Envoi
Voulez-vous que verte vous die ?
Il n’est jouer qu’en maladie,
Lettre vraye que tragédie,
Lasche homme que chevalereux,
Orrible son que mélodie,
Ne bien conseillé qu’amoureux.
Il reste en vogue aux XVIIe et XVIIIe siècles pour tourner des compliments ou louer les mérites des grands, tel celui-ci, adressé à Louis XIV par un poète sans le sou :
Louis est un héros sans peur et sans reproche
On désire le voir. Aussitôt qu’on l’approche
Un sentiment d’amour enflamme tous les coeurs ;
Il ne trouve chez nous que des adorateurs ;
Son image est partout excepté dans ma poche.
Le XIXe siècle donna naissance à de nombreux acro-stiches ; les plus célèbres sont ceux d'une correspon-dance en vers, attribuée à Frédéric Chopin et George Sand …que je ne reprodurai pas ici.

Guillaume Apollinaire écrivit en 1915 à sa muse, Louise de Coligny-Châtillon, un poème (Adieu, Poèmes à Lou, 1947) de cinq tercets acrostiches, comme le suivant :
L’amour est libre il n’est jamais soumis au sort
O Lou le mien est plus fort encor que la mort
Un cœur le mien te suit dans ton voyage au Nord [...]
Il existe de nombreuses variantes de l'acrostiche, tels le téléstiche (dernières lettres des vers, généralement lues de bas en haut) ou le double acrostiche (premières et dernières lettres).

Quelques mots sur l'OuLiPo
L'OuLiPo, Ouvroir de littérature potentielle, est un groupe de littérature créé en 1960 qui a pour but de découvrir de nouvelles potentialités du langage.
Célèbre pour ses défis mathématiques imposés à la langue, l’OuLiPo est fondé sur le principe que la contrainte incite à la recherche de solutions originales.
Je citerai trois exemples :

1) Le livre Cent mille milliards de poèmes, imaginé par Raymond Queneau et qui fut d'ailleurs à l'origine de la création de l'OuLiPo (pour plus de détails, cliquez sur le bouton   ci-dessous).

2) Le lipogramme, œuvre d’où sont exclues certaines lettres de l’alphabet. Un sonnet-lipogramme dû à Georges Perec figure dans mon Florilège ♥♥ (pour y accéder, cliquez d'abord ici, puis sur le bouton  ).

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Les dix pages essentielles du livre sont découpées en 14 languettes horizontales, soit 140 languettes en tout, portant chacune un alexandrin.
On peut les tourner indépendamment les unes des autres, faisant apparaître les languettes sousjacentes, de sorte que chaque combinaison de 14 languettes définit un sonnet.
Les vers superposés ayant la même rime, les sonnets sont tous construits selon le même schéma unique, de la forme : abab, abab, ccd, eed. Notons qu'il sagit d'un sonnet irrégulier (élisabétain pour les quatrains, maro-tique pour les tercets !   ).

Nombre de combinaisons possibles :
10¹⁴ = 100 000 000 000 000.
Ce livre extraordinaire constitue donc, sur papier, une sorte d'hypertexte avant la lettre.

Dans sa préface Raymond Queneau précise : « Ce petit ouvrage permet à tout un chacun de composer à volonté cent mille milliards de sonnets, tous réguliers bien entendu. C’est somme toute une sorte de machine à fabriquer des poèmes, mais en nombre limité ; il est vrai que ce nombre, quoique limité, fournit de la lecture pour près de deux cents millions d’années (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre).»

Un beau cadeau à faire aux amateurs de jeux d'esprit !